Biographie
Si Jules Verne et H. G. Wells ont mis en place au début du siècle les conditions d'un nouveau genre littéraire : la science-fiction ; si A. E. Van Vogt, Ray Bradbury et quelques autres se sont assuré, deux générations plus tard, une renommée importante, c'est probablement au romancier de science-fiction américain Philip K. Dick qu'il revient d'avoir écrit l'œuvre la plus personnelle, dans un domaine où les difficultés psychologiques de l'auteur ont inspiré avec bonheur la thématique et la construction de récits à la facture faussement classique.
Philip Kindred Dick est né à Chicago. Une sœur jumelle, Jane, mourra quelques jours plus tard ; mais sa présence fictive se fera sentir jusque dans les derniers textes de son frère. Les parents de P. K. Dick divorcent lorsqu'il a quatre ans, et il suit sa mère, Dorothy, en Californie pour ne plus revoir qu'épisodiquement un père qu'il déteste autant qu'il cherche à le retrouver dans ses écrits.
Jusqu'au début des années 1960, P. K. Dick inonde les éditeurs de brefs récits. Plus de quatre-vingts textes seront publiés pendant cette période, tandis qu'un premier roman, Loterie solaire (1955), décrit l'aliénation sociale des sans-pouvoir, au service des monopoles qui les tiennent fascinés par une gigantesque loterie aux dimensions de la planète.
En 1962, Dick, qui abandonne toute prétention littéraire, écrit Le Maître du Haut-Château, qui demeurera son œuvre la mieux appréciée outre-Atlantique. Puis il commence une série de textes où il met en question la réalité des objets environnants à travers les thèmes de la drogue, du délire ou du
coma prolongé; ce seront là ses plus beaux livres : Le Dieu venu du Centaure (1964), Glissement de temps sur Mars (1964), Docteur Bloodmoney (1965), Ubik (1969), Au bout du labyrinthe (1970).
À la fin des années 1960, Philip K. Dick doit affronter de graves problèmes financiers. Sa seconde femme le quitte, alors qu'il est obligé de se faire hospitaliser. Hanté par des idées paranoïdes, l'auteur décide alors de quitter les États-Unis pour s'installer au Canada, émigration qui coïncidera avec une longue période de silence littéraire.
Revenu s'installer en Californie à partir de 1974, de nouveau marié et père de famille, Dick vivra longtemps des revenus de ses ventes en France ; puis il recommencera à écrire avec moins de bonheur qu'auparavant si l'on excepte Substance mort (1977), brillante synthèse, à peine romancée, de sa rencontre avec la drogue.
Dans toute l'œuvre de Philip K. Dick reviennent sans cesse les mêmes thèmes qui posent la question de l'existence : qu'est-ce qu'exister, pour soi comme pour l'autre ? Chez lui, le monde est faux, tout y est simulacre : la nourriture, synthétique ; les objets de plastique, friables ; les animaux, des mécaniques ; les amis se révèlent être des androïdes sans émotion, et soi-même l'on se réveille, après une opération, avec un corps rempli d'électronique, pour apprendre qu'on est un robot (La Fourmi électronique, 1969). L'univers entier n'est que faux-semblant. À la place du vide creusé par le rejet des sensations s'installe un environnement illusoire fait des fantasmes, des craintes et des rêves des personnages : mais, à fuir, dans un quasi-délire, le réel insupportable, les héros dickiens vont être confrontés à leur désir de mort, et cet univers de substitution se révélera presque toujours plus insupportable encore que le vrai. Un roman, peut-être le chef-d'œuvre de Philip K. Dick, est exemplaire de cette dérive : il s'agit du Dieu venu du Centaure dont les héros cherchent à s'échapper, par les hallucinogènes, d'un monde effroyable ; dans un futur proche, la Terre est surpeuplée, menacée de destruction par un Soleil qui se réchauffe. Des colons sont envoyés sur Mars, où ils tentent de survivre à l'hostilité silencieuse d'un climat insoutenable. Regroupés par petites unités frileuses dans les
clapiers, ils renoncent à cultiver le sol difficile pour passer leurs journées sous l'emprise de diverses drogues qui aggravent encore leur isolement.
Les questions sur la mort traversent l'œuvre de Dick : elles suivent d'abord le fil rouge qui mène à la sœur jumelle morte. Dans Docteur Bloodmoney, une petite fille contient, à l'intérieur de son ventre, son frère jumeau qui n'est jamais né, ni mort, ni vivant, avec lequel elle a d'incessantes conversations ; il lui raconte le bruit que font les cadavres sous la terre ; elle lui décrit les contours d'un monde qu'il ne percevra jamais. Puis, au fil des ans, Dick transpose dans l'écriture les questions que lui pose son corps malade. Dans Ubik, il imagine qu'il est possible de maintenir une activité électrique crépusculaire dans le cerveau des morts, grâce à la cryogénie. Celui qui se réveille en semi-vie ne se doute d'abord de rien, tout au plus remarque-t-il autour de lui des sortes de messages étranges ; puis, peu à peu, il voit disparaître les repères de son existence ; les objets les plus quotidiens s'écroulent en poussière, puis reviennent quelques instants, lumières clignotantes d'une vie qui se retire. Suis-je mort ? Suis-je vivant ? Telles sont les questions qui se font écho dans l'œuvre de Dick et remettent en cause l'écriture elle-même.
Le doute, en effet, va se replier sur lui-même pour faire vaciller les cadres de l'écriture. Certains textes deviennent alors d'immenses métaphores de la difficulté de créer pour un auteur : un livre comme Le Guérisseur de cathédrales (1969), écrit dans une période de grande dépression, présente un héros incapable de créer. Ce thème de l'écrivain raté, plus apte à imiter qu'à créer, se retrouvera souvent, ainsi dans Au bout du labyrinthe. Parfois, au contraire, l'écrivain idéalisera son métier : l'écrivain héros du Maître du Haut-Château tient entre ses mains les fils de la réalité ; celui d'Un auteur éminent (1953) réécrit la Bible ; les Kalendes du Guérisseur de cathédrales sont les producteurs d'une œuvre qui décrit, jour après jour, le futur. L'auteur n'est plus alors à l'origine d'une création personnelle, mais le porte-parole d'une vérité ultime à laquelle Philip K. Dick semblait croire les dernières saisons de sa vie, au prix de sa créativité.
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